dimanche 25 janvier 2009

Jean-Claude Narcy


Lors de la retransmission de la cérémonie d'investiture de Barack Obama, mardi, le journaliste de TF1 a commenté la prestation d'Aretha Franklin par cette phrase : «
On devait chanter comme ça dans les champs de coton ».

Cette remarque soulève immédiatement une question évidente : Jean-Claude Narcy a-t-il tenu à cette occasion des propos racistes ? Honnêtement, je ne le crois pas. Narcy n'a tout simplement pas compris. Pas compris que le monde vient de changer sous nos yeux. Ce journaliste inculte incarne à lui seul le paradigme d'un monde finissant. D'un monde moribond. Mais aussi celui, bien plus pathétique, d'un monde encore accroché à ses certitudes longuement forgées par deux siècles d'histoire.

Il faut le comprendre, Jean-Claude Narcy. Confronté à un choc mental aussi violent, il chauffe de la cafetière. Il a les plombs qui sautent, une mesure sans doute salutaire, d'ailleurs, le concernant. C'est quand même mieux que de se jeter sous les roues d'un bus. A cet instant, Jean-Claude Narcy, il est en quête d'explication. Il a besoin d'un décodeur. Il est journaliste sur TF1, Jean-Claude. Depuis longtemps, en plus. Il s'en suit un raccourcissement certain de son « temps de cerveau disponible », ainsi que le souhaitait son ancien P-DG Le Lay. Alors, Jean-Claude Narcy, dans un effort déraisonné pour se raccrocher à une quelconque référence historico-culturelle, il a un flash. Il voit les Etats-Unis des champs de coton. Il voit les ouvriers agricoles, voire les esclaves tant qu'on y est, surveillés par des contremaitres blancs. Pour lui, Jean-Claude, un Noir restera à jamais un aliéné, alors Président des Etats-Unis, pensez-vous…

Il faut comprendre la souffrance de Jean-Claude. Déjà il y a quelques mois, il a vu arriver Harry Roselmack. D'habitude, Jean-Claude, les seuls noirs qu'ils voient passer dans les couloirs de TF1 vident les poubelles le soir après les horaires de bureaux. Au pire, quand il les voit en pleine journée, c'est qu'ils viennent porter des plis à la rédaction ou encore changer les bonbonnes d'eau. Il a du s'habituer à ce Noir venu de nulle part crever les écrans jusque là tranquillement monocolores de sa chaine préférée. II écume de rage, Jean-Claude, à l'idée qu'il pourrait y en avoir d'autres. Ce n'est pas qu'il ne les aime pas, c'est juste qu'il estime que les gens comme eux n'ont peut-être pas tout à fait leur place sur une grande chaine généraliste. Et ça l'énerve, Jean-Claude, quand il entend sa femme insister si lourdement pour regarder le JT du weekend end. Il la voit bien, Jean-Claude, quand bobonne se pâme devant la télé, serrant discrètement les cuisses, la main droite nerveusement accroché à la télécommande de peur que son mari ne zappe, la gauche caressant doucement son chat persan. Il y a bien longtemps qu'il n'a plus provoqué chez elle de tels émois. Jean-Claude Narcy n'est pas raciste, il manifeste bien plus simplement un instinct primaire de préservation face à ce monde qui change trop vite pour lui.

En vouloir à Jean-Claude, ce serait en vouloir à tous ces lointains cousins de province ou d'ailleurs qu'on ne voit qu'une fois par an et qui déclarent tout de go lors du barbec du dimanche, en se grattant l'entrecuisse et en reluquant graveleusement le décolleté de tata Suzie, que de toute façon ceux qui ne sont pas comme lui, il ne les aime pas trop... A part un regard consterné et un clin d'œil discret à ta montre histoire de mesurer le temps qui reste à passer en compagnie de ce décérébré bidonnant aux cheveux gras, force est de reconnaître que tu ne peux pas faire grand-chose.

Jean-Claude Narcy entend de son bureau de la tour TF1 les bruits sourds d'un monde qui s'en va.

Un monde ou le Royaume Uni pourrait bien devoir demander officiellement l'aide du FMI.

Un monde où les rênes de la richesse mondiale sont désormais tenues par les dirigeants d'un pays bien lointain, la Chine, dont accessoirement le nombre d'internautes vient de dépasser celui des Etats-Unis. Jusque là, pour Jean-Claude, la Chine était le pays d'où provenaient les t-shirt bon marché dont il se sert pour aller jogger le dimanche.

Un monde dans lequel la France recroquevillée sur ses certitudes et son orgueil dépassé, en est réduit à se draper dans son rôle déchu de lumière du monde. Un monde dans lequel noir, étranger, immigré sont synonymes et ne sauraient désigner un français « de souche ». Alors prix Nobel ou P-DG d'une grande entreprise, ce n'est pas pour demain, en tout cas certainement pas au pays de Voltaire ou de Montesquieu.Et Jean-Claude Narcy, quand il commente l'entrée en fonctions de Barack Obama, n'est plus tout à fait journaliste. Il se veut calinologue. Comme son copain Pernaut à 13h tous les jours sur TF1 avec ses reportages sur les derniers fabricants de pipes du Jura alors que les bombes pleuvent sur Gaza et que l'économie mondiale est au bord du chaos.

Jean-Claude n'est pas raciste. Il est juste inculte, bovin, paumé. Va en paix, Jean-Claude, tu ne mérites pas l'énergie de l'indignation.

Vieneg.

dimanche 28 décembre 2008

PATRICK SAINT-ELOI - ZOUKOLEXION, Volume 2




































Note A Bene sous licence PSE productions.

Distribué par Warner Music France.

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C'est le grand retour du crooner du zouk avec le deuxième volume de sa Zoukolexion, un peu plus d'une année après le premier volume.

Début des années 80 : les frères Décimus décident de changer le cours de l'histoire de la musique caribéenne tel qu'elle était jusque là conçue aux Antilles françaises. Ils inventent un nouveau son ; celui-ci sera leur passeport pour conquérir la planète entière. PSE devient rapidement l'un des porte voix de cette vision musicale syncrétique appelée désormais Zouk.

Car PSE, c'est d'abord et avant tout une voix, reconnaissable parmi toutes. Des aigus à vous faire frémir, mis au service d'un génie propre à investir tous les champs de la langue créole. Tour à tour tranchant, doucereux, plaintif, revendicatif, le plus souvent lover. Patrick Saint-Eloi est l'homme qui sait murmurer en créole à l'oreille des femmes…

Ensuite, ce sont des textes, d'une qualité exceptionnelle. On peut réellement affirmer que si le PSE compositeur a joué collectif en participant largement à l'essor du zouk depuis le début des années 80, l'auteur PSE a quant à lui toujours su démontrer un talent d'écriture tout à fait singulier. Entertainer à ses heures (mais pas trop tant il est vrai que cet homme n'est guère chauffeur de salle, pour cela s'adresser de préférence à Pipo Marthely, maître du genre), plus souvent parvenant à forcer la réflexion en dépit du rythme entêtant de cette musique, parfois enfin s'affirmant péremptoirement avec des textes poignants – « Inceste » ou « Silans » constituent des modèles du genre.

Pour ce qui est de cet album, il s'agit d'abord d'un best of, tout à fait honorable de la part de l'un des artistes les plus prolifiques de sa génération. On ne saurait lui reprocher de vouloir faire prospérer l'héritage à son profit avec ce concept fédérateur, garantie du succès.

Il y a cependant une tentative assumée d'aller au-delà du côté testamentaire, avec quelques textes inédits et quelques reprises de tubes qui ont contribué à l'éclosion d'autres étoiles comme Jocelyne Béroard (eh oui, « Mi Tchè mwen », c'est lui) ou Edith Lefel (« La klé »).

Filon éculé ? La question se pose, car le son zouk, certes marque de fabrique de la génération Kassav', reste le même : si les aficionados adoreront à coup sûr, il est cependant bien peu probable que de nouveaux adeptes se joignent au mouvement. Mais peut être est-ce illusoire d'attendre des créateurs d'un genre qu'ils soient également les architectes de son évolution quelque trois décennies plus tard.

Rendons hommage à la qualité du produit, tant cela est important en ces temps de raréfaction des ventes de disques : c'est de la belle ouvrage, incontestablement. On reconnaitra la sobriété propre à Saint-Eloi, même si une question se pose néanmoins : qui a eu l'idée assassine de la photo intérieure de l'album ? Pour ceux qui ne l'ont pas vu, il suffit d'imaginer Jamie Foxx en vacances aux Antilles, chapeau paille sur la tête, tournant une pub pour Twix (deux doigts coupe-faim)… Pour le moins déconcertant, tant il est vrai que cet homme ne porte pas une once de bling bling en lui.


Pour finir, signalons que PSE sera en concert le 3 novembre 2009 à l'Olympia, salle pour lui mythique puisque c'est là qu'il se produisit pour la première fois seul (en 2000) suite à son départ de Kassav'. Ce concert fut d'ailleurs le support d'un enregistrement live que l'on ne saurait trop conseiller.

Vieneg

dimanche 21 décembre 2008

Green Economy


Alors que tous les oracles nous prédisent une entrée officielle, douloureuse et définitive dans une ère des ressources énergétiques chères et prêchent pour une adaptation rapide (c’est-à-dire dans les 30 ans) du capitalisme mondial qui doit désormais intégrer le caractère non inépuisable des ressources de production, voilà qu’une étude américaine émanant d’un réseau de distribution important estime que le prix du gallon pourrait à court terme tutoyer le dollar.

Si ces prévisions s’avéraient exactes, le record historique atteint à la baisse en 1999 serait battu. Par comparaison, suite aux attentats du 11 septembre, le prix du gallon était descendu à 1,08$.

A court terme, les Etats (notamment les USA), le système tout entier et les consommateurs en bout de chaine ne peuvent que s’en féliciter. Evidemment, une essence moins chère signifie une pour les uns une facture énergétique moins élevée, pour les autres une relance économique peut être plus rapide qu’escompté et pour les derniers un coût à la pompe moins élevé et donc une part de revenu restant disponible plus importante (puisque ce type de dépense n’est que très partiellement compressible).

Les tenants de l’importance du moral en économie y verront également un signe très positif. Ils l’incorporeront dans leur modèle de prophétie auto réalisatrice, mélange de pseudo pragmatisme et de méthode Coué qui fait dire que pour que cela aille mieux, la première des choses à faire serait d’y croire (nous en avons, avec Alain Minc, un très bel archétype en France).

A bien y regarder, il ne s’agit cependant pas d’une bonne nouvelle, pour deux raisons :

D’abord, la courbe du prix du gallon épouse celle de la montée du chômage aux USA. L’essence a donc baissé d’abord et avant tout parce que les chômeurs américains n’utilisent tout simplement plus leur voiture pour aller travailler. Et l’Amérique a détruit 1,9 millions d’empois depuis le début de la crise.L’avantage du revenu disponible accru grâce à la baisse du prix à la pompe disparait.

Ensuite, le délicat virage planétaire vers un capitalisme plus propre qu’appellent de leurs vœux les principaux dirigeants de la planète – ce fut l’un des thèmes du récent G20 – risque d’être sérieusement remis en question. A 30$ le baril, les compagnies pétrolières retarderont voire remettront purement et simplement en question les investissements annoncés pour la diversification des sources de production. Les Etats eux-mêmes risquent d’être mis à mal dans leur stratégie d’éducation des masses en faveur d’ une économie moins polluante. Les équilibres politiques eux-mêmes pourraient voler en éclats s’ils ne sont plus corrélés avec un mieux être économique et un bénéfice électoral à court terme.
Ainsi, le Président nouvellement élu Obama a-t-il annoncé un gigantesque plan de 150 milliards de dollars pour financer les énergies renouvelables au cours des dix prochaines années. Ce programme doit rendre l’Amérique indépendante d’un point de vue énergétique, créer 5 millions d’emplois (les green jobs) et la mettre à la pointe de la technologie dans un secteur économique crucial pour l’avenir. 10% de l’électricité consommée aux Etats-Unis devrait ainsi être issue de sources renouvelables d’ici à 2012 et 25% en 2025, permettant d’éliminer, d’ici à dix ans, l’équivalent des importations de pétrole du Moyen-Orient et du Vénézuela réunis.

Il souhaite également l’instauration immédiate d’un marché de permis à polluer, comparable au marché carbone européen.

L’absence de rentabilité à court terme compte tenu du prix trop bas du pétrole signifie à court terme un gel des investissements maintenant et donc une absence d’énergies plus propres disponibles dans les 15 ans qui viennent.

Ce n’est donc pas une bonne nouvelle. Il s’agit bien plutôt de l’un des symptômes d’une crise bien plus profonde qu’initialement envisagé. Les imprécations de tout bords n’y changeront rien, sans impact tangible pour le porte monnaie du consommateur, avec une industrie automobile à l’agonie, les Etats-Unis déjà lourdement endettés par les plans de relance successifs annoncés (et donc dépourvus de l’arme fiscale, bien précieuse dans ces cas là) n’ont tout simplement pas les moyens d’encourager l’économie verte. Une occasion historique risque donc d’être une fois de plus gâchée. Le monde s’en remettra, une fois de plus, et se rapprochera encore un peu plus du chaos écologique que prédisent tous les analystes sérieux. Voilà, désormais, la seule prophétie auto réalisatrice qu’il faut sérieusement craindre.

Financial crisis 4 dummies



Je suis sûr que comme ça c'est beaucoup plus clair (en tout cas, on comprend bien qu'on est dans une "merde internationale" (G. Elmaleh).

L'avez vous lu? A propos de Julia LEIGH : Ailleurs.


Julia LEIGH, Ailleurs.

Editeur : Christian Bourgeois Editeur

ISBN : 978-2-267-01995-7

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Un roman court (104 pages) mais au rythme haletant.


Une lecture quasi physique qui nous plonge dans l'atmosphère étouffante des grandes familles bourgeoises aux secrets de famille bien gardés.

On est entre Faulkner – pour l'écriture – et l'autrichienne Elfriede Jelinek, prix Nobel 2004 – pour l'atmosphère et le rythme.

C'est sombre, dérangeant, tant dans le fond de l'histoire que dans la spécificité de la narration.

Le roman démarre dans l'action, telle une pièce de théâtre : une femme, naufragée de l'existence, revient d'Australie avec ses deux enfants pour s'installer chez sa mère, vieille bourgeoise gardienne des conventions les plus strictes.

Quelque temps plus tard, c'est au tour de son frère accompagné de sa femme, de faire leur apparition. Ils sont affligés de la perte de leur unique enfant, décédé lors de l'accouchement quelques jours plus tôt. Le talent narratif de Julia Leigh parvient presque à rendre physiquement perceptible l'air qu'ils respirent, les regards qu'ils se portent, la lourdeur des secrets portés par les regards mais jamais explicitement évoqués. La vraie violence est dans la lenteur des gestes, derrière les portes fermées, dans la haine des regards fuyants porteurs de décennies de douleurs inexprimées.

Il faut enterrer cet enfant. Son cadavre en putréfaction prend une dimension toute particulière. Se met en place alors une symbolique de la rédemption dans cette geste particulière. Folie, désespoir, errance familiale, poids des conventions. Tout est en place pour une chute douloureuse mais salutaire. Les nuages trop lourds se déchirent, on n'enterrera finalement pas qu'un corps froid mais un monde tout entier, qui se lavera de ses péchés par un baptême abominable dans l'eau glaciale du lac tout proche, au cours duquel ils finiront par comprendre que la fuite n'est pas la solution.


Julia Leigh offre ici une roman cinglant, exceptionnel dans cette rentrée littéraire un peu fade. Auteur à suivre puisque le Canada's Globe and Mail l'a retenu dans son classement des dix auteurs les plus prometteurs de l'année 2000. L'Observer l'a sélectionnée parmi les vingt et un auteurs à retenir pour le XXIe siècle.

lundi 6 octobre 2008

"The game is over"...



… C’est là l’expression la plus souvent utilisée dans la presse (notamment anglo saxonne) relativement aux évènements de ces derniers jours qui ont agité la planète financière.

En quelques jours, une grande banque d’affaire américaine vieille de 150 ans aura coulé tel une vulgaire start up. Une autre aura été racheté pour une bouchée de pain dans le cadre d’un sauvetage arrangé. Le plus grand assureur au monde se trouve lui aussi, sous perfusion.

Une curieuse impression s’installe : celle, douloureuse pour les uns, délicieuse pour d’autres, d’une fin de règne. Plus précisément d’un passage de témoin entre l’empire financier américain incarné par les grandes banques d’affaires orgueilleuses, au profit d’un nouveau système, non moins capitaliste, mais plus multipolaire. Un nouveau centre semble vouloir apparaitre, autour d’un nouveau cœur, l’axe arabo asiatique. Celui-ci part de HongKong pour rallier Singapour, relie Shangai à Kuala Lumpur, croise Bangalore et vient finir sa course dans le golfe persique, entre Dubai, Doha , Manama et Abou Dabi.

Paradoxalement, le génie de ce nouveau cœur aura été de … sauver l’ancien, afin de mieux affirmer sa supériorité présentement et pour les décennies à venir, tel un sauveteur tenant la tête hors de l’eau à un ivrogne tombé dans un canal à l’issue d’une soirée trop arrosée. Le sort des Etats-Unis et dans une moindre mesure de leurs alliés européens, dépend maintenant du bon vouloir de leur banquier : les pays arabo asiatiques qui détiennent une bonne partie des 9600 milliards de dollars de dette américaine. L’homme sage ne dit-il pas que que « l’emprunteur est serviteur de l’homme qui prête* » ?

Certes, cette situation n’est pas nouvelle en soi. La richesse des pays riches a toujours été importée et la finance est au cœur même du capitalisme. La différence réside cependant dans la volonté nouvellement affichée des pays prêteurs de demander des comptes aux gestionnaires occidentaux. Assez des Merill Lynch, Citigroup et autres JP Morgan qui ont tant couté aux fonds souverains des pays pétroliers. On craignait jusqu’à maintenant que ces pays s’en servent un jour comme bras armé politique, c’est pire : ils exigent un retour sur les investissements consentis.

Monde, crains, voici désormais ton nouveau maitre…

*Proverbes 22 :7

mardi 26 août 2008

LE PS comme on l’aime…

Bertrand Delanoé est candidat à la succession de François Hollande en tant que Premier Secrétaire du Parti Socialiste.

Est-ce vraiment une nouvelle ? Honnêtement, pas vraiment. L'homme « de l'audace » (le titre de son dernier livre) n'allait certainement pas limiter son intérêt pour le parti à quelques idées pas vraiment novatrices mais bien markétées. Il était évident que tout comme Martine, François, Ségolène et les autres il serait candidat. Bref, il pourrait y en avoir encore 5 ou 6 que cela ne changerait pas la donne de façon significative.
Bien plutôt, la vraie question est de savoir quel sera l'état réel des forces et des équilibres en novembre, lors du vote des militants. Il y a là une inconnue que même les meilleurs stratèges politiques ne savent pas décrypter. Les adhérents à 20€, après le hold up idéologique sur le parti, après l'échec logique qu'a connu un parti dénué de stratégie politique et incapable d'être la véritable courroie de transmission qu'il aurait du être avec une candidate sans réel programme, sont tous fort logiquement partis.

Déjà, Ségolène Royal est déjà beaucoup moins audible. Son positionnement médiatique fait essentiellement de micro attaques quotidiennes et d'avis sur tout ne fait plus recette. La pseudo rencontre avec le Dalai Lama en lieu et place du Président de la République a été le flop de l'été. Ses appuis au sein du parti sont désormais bien faibles depuis le départ d'Arnaud Montebourg et le divorce d'avec Julien Dray.

La vraie bataille est ailleurs. Une fois de plus, la puissante fédération du Nord pourrait bien désigner le vainqueur. Martine Aubry n'a en effet jamais cessé d'être populaire tant en dehors du parti qu'au sein de l'opinion. Son acharnement idéologique a certes nuit aux 35 heures, mais les sondages successifs démontrent que les français sont toujours très attachés à sa grande idée qui est en même temps le symbole même de l'ère Jospin.

Elle doit décider si elle veut gagner ou faire gagner ses idées. Dans la seconde hypothèse, son choix d'alliance aura forcément un impact fort sur le parti et sur les choix qui sortiront des urnes lors du congrès de Reims. Ségo ? Sûrement pas. Delanoé ? Pas impossible, surtout que celui-ci accole de moins en moins le mot « libéral » à celui de « socialiste ». Martine pourrait considérer que désormais rien de sérieux ne s'oppose à une alliance. Fabius ? Bof. Son soudain extrémisme de gauche lors du vote du traité constitutionnel doublé de son manque de respect pour la discipline de parti n'en font pas un allié de choix.

Reste le grand absent de ces débuts de manœuvre, celui dont le silence, s'il se prolonge, va vite devenir assourdissant : DSK, que personne ne voit rester au FMI jusqu'en 2012.

jeudi 27 septembre 2007

LYONEL TROUILLOT - L’amour avant que j’oublie


Actes Sud


C'est un objet littéraire pour le moins inattendu que nous livre cette fois Lyonel Trouillot dans son dernier roman. Un objet littéraire qui nous renvoie à la raison d'être de la littérature elle-même. Pourquoi écrire ? Pourquoi raconter des histoires ? Pour Lyonel Trouillot, la réponse est claire : on écrit pour rester en vie, on prend la plume pour rassembler et sauvegarder des miettes d'existence. On écrit aussi parce que, malgré tout, certaines choses ne se disent pas. Je t'aime ne se dit pas. L'homme de lettres qu'il est, le penseur reconnu se trouve en l'espèce incapable de parler d'amour.


Il appelle donc à son secours l'imaginaire, comme un ménestrel convoque la fiction pour conter fleurette sous le balcon de sa belle.


Trois personnages constitutifs du puzzle de sa vie. Trois âmes singulières aux destins tantôt tragiques, tantôt comiques, jamais pathétiques. Peu importe la vérité dans la fiction du réel, de toute façon la vie est un roman.


L'Étranger, le premier d'entre eux. Un Jules Vernes caribéen. Il a fait le tour du monde sans quitter son île. Il traverse le roman une valise à la main, toujours dans l'attente imminente d'un visa, car « il part toujours le mois prochain ». Qui prétendrait qu'il soit un imposteur n'aurait tout simplement rien saisi à sa philosophie. Bouger pour ne pas mourir. S'activer pour tromper le malheur tapi dans un recoin de l'existence, toujours prêt à cueillir celui qui se croit à tort invincible. « Seul le malheur survit. C'est pour cela qu'il ne faut jamais rester immobile. Tous les jours, le malheur revient vérifier à quelle vitesse tu peux bouger et il finit par t'attraper si tu restes à la même place ». Voilà pourquoi la vraie vie de Ricardo Mazarin est un « fait banal, sans importance ». La vérité vraie ne saurait être celle à laquelle nous contraint le quotidien. C'est une vraie leçon de révolte contre tous les déterminismes qui nous est ici administrée par ce conteur en transit. La vraie vie est dans les yeux de celui qui regarde. Attention donc à ne pas trop attendre pour 'apprendre à regarder'.


Ensuite, l'Historien. L'histoire d'une passion contrariée avec Marguerite, une vendeuse de rue. Une authenticité contrastant avec l'hypocrisie, le mensonge et la trahison connue avec l'Autre, une indicible erreur de l'existence, un innommable accident de la vie, une « erreur d'amour » qui finira par avoir raison de lui, car « l'amour ça peut être une belle chose, mais c'est une saloperie aussi ».


Enfin, Raoul. Le visiteur de cimetière. L'homme éternellement blessé en raison d'un drame qu'il n'a pu éviter et qui appelle à son secours toutes les puissances de la transcendance.


Autant de tranches de vie et d'expérience dont s'abreuve notre héros pour approcher sa belle. Il ne peut être que cela. Il ne parvient qu'à avancer masqué, incapable de se découvrir car alors il lui faudrait parler d'amour. Il lui faudrait se révéler. Il préfère, tel le bernard l'hermitte bien connu des antillais, emprunter des yeux, des oreilles, piocher ça et là dans des vies singulières. Il est l'écrivain public de leurs voyages intérieurs. Un passeur de paroles qui ne sont pas les siennes mais qui lui appartiennent néanmoins car la parole appartient à celui qui la reçoit.


Poésie, tragédie, mais aussi chroniques d'un bonheur authentique sont autant de facettes de cette lettre d'amour adressée à une l'anonyme auditrice d'un colloque littéraire. Une puissance singulière se dégage de cette intention toute simple. Une pudeur touchante dans l'expression de sentiments profonds. On ne peut qu'être touché par cette quête d'absolu à laquelle nous convie Lyonel Trouillot, « dans l'étrangeté des chemins qui conduisent à l'amour ».


Viéneg

Antoine Volodine - Songes de Mevlido


No future surréaliste

Une guerre a eu lieu, sans doute l'assaut final qui laisse l'humanité désespérée. Cette guerre, qualifiée de « guerre de tous contre tous » a vu l'affrontement des camps capitaliste et bolchevique. Une dictature idéologique sans merci s'installe. Elle est tentaculaire, monstrueuse en ce qu'elle ne s'embarrasse même pas des oripeaux que revêt habituellement tout régime totalitaire. Elle ne prétend même pas faire le bonheur des gens.

Mevlido est le personnage principal de ce conte dystopique qui a pour théâtre un XXIIe siècle à l'agonie. La ville d'Oulang-Oulane où il vit est l'antre de l'horreur à laquelle la guerre a laissé place. Deux camps s'affrontent dans une lutte mortifère. Mevlido appartient quant à lui au camp des vaincus, soumis au bon vouloir des tout puissants « Organes ». Ceux-ci se servent de lui comme d'une sorte d'antidote à la barbarie, expédié vers le futur à la recherche d'un remède pour l'humanité en voie d'extinction. Chaque passage est matérialisé par une trappe, d'où notre héros glisse imperceptiblement dans un système monde sans repère.

On se laisse facilement emporter dans cette translation sans fin, tant l'écriture de Volodine est envoutante. Elle est également physique, avec un talent consommé pour faire ressentir à son lecteur l'ambiance étouffante, la poussière presque palpable tout au long du roman mais aussi la lutte éperdue pour survivre, même quand la vie n'a plus de sens. Les références s'inversent, le tramway, dans lequel on est embarqué dès les premières pages du roman, ultime cordon ombilical reliant encore Poulailler Quatre à ce qui demeure de la civilisation, peut également à tout moment devenir un instrument de mort. On assiste ainsi, avec le regard d'un sniper tapi au coin de la rue, à la décapitation atrocement narrée de la « femme en vert », dont la tête est broyée de façon ignoble par les roues de fer de la machine.

Les nuits ne s'achèvent que pour laisser place à une pénombre grisâtre, faite de suie industrielle et de volatiles aux ailes grinçantes.

Même au cœur de l'horreur, Mevlido, personnage principal auquel on finit par s'identifier, lutte de plus pour ne pas se laisser submerger par le souvenir trop présent de sa compagne, assassinée par des enfants soldats.

Ce cataclysme imprègne tout, y compris la dialectique qu'utilise Volodine pour nous la faire mieux ressentir. Ainsi, les phrases commencées ne sont quelquefois jamais achevées (« on ne sait jamais ce que. ») comme happées par quelque chose de plus grand encore que le discours.

La vie n'existe plus, pas plus que la mort. Le monde d'alors est otage du présent fait de chamanes, d' imprécation, de magie et de rumeurs d'attentat contre la lune…

Sept parties et quarante-neuf chapitres plus tard, on se sait toujours par ce qu'il faut en penser. C'est peut être précisément ce qui fait la puissance de Volodine : cette capacité à emmener son lecteur dans les méandres les plus intimes de l'être et du devenir. Une espèce de no future fantasmagorique à la limite de la rupture dans lequel on pénètre comme aspiré par un tunnel et dont on ne ressort pas tout à fait indemne.

Viéneg

dimanche 6 mai 2007

Et là, c’est le drame…

Ça sent l’affrontement. Dans les regards, du défi. Dans les tics déjà remarqués de chacun de nos protagonistes préférés, une nervosité palpable. Ségolène R., port plus altier que jamais, verbe haut, élocution lente, syllabes toujours autant détachés (pour avoir la version normale, enregistrer l’émission et appuyer sur la touche “fast forward” de votre magnétoscope…), teint laiteux, machoire carnassière. Nicolas S., quant à lui, tête montée sur ressort, contorsions à 180° (on se dit que cela doit être à force très douloureux, peut-être dans le pire des cas la cause de migraines carabinées, attention…).

C’est parti pour presque trois heures de confrontation bien sûr, de conviction certainement, le tout destiné aux téléspectateurs évidemment mais pas seulement. Il n’a en effet échappé à personne que Ségolène et Nicolas, concurrents ou adversaires d’un jour, ne sont au final que deux être humains aux portes du pouvoir suprême. Voila pourquoi, la tension de l’enjeu aidant, il peut toujours à n’importe quel moment, se produire quelque chose de mémorable. Et le dérapage a eu lieu.

Le climax, THE moment a été celui-ci :

Ségolène Royal : Je connais vos techniques. Dès que vous êtes gêné, vous vous posez en victime.
Nicolas Sarkozy : Avec vous, ce serait une victime consentante !
Ségolène Royal : Tant mieux, au moins, il y a du plaisir.”

Pour emprunter un gimmick chèr à Fabrice Luccini, je dirais que c’est énorme…

Bien au delà de la “France des propriétaires” chère à Sarko ou de la “France des entrepreneurs” qu’a découverte Ségo. Par dessus la volonté de l’un de réduire le coût exorbitant des prothèses dentaires ou des lunettes pour les personnes dépendantes (entre le nucléaire et la les impôts, voilà une belle priorité), ou de l’indignation affichée par l’autre au sujet de la scolarisation des enfants handicapés et de la supposée immoralité politique de son adversaire (reconnaissons qu’il est moins facile de faire pleurer la ménagère au sujet du génocide du Darfour).

Il s’agit ni plus ni moins que du plus grand moment de machisme et de bassesse cathodiques qu’il ait été donné de voir à la télévision depuis longtemps. Le fait que pour la première fois les candidats soient de sexes différents l’a de surcroît rendu possible au cours d’un débat de l’entre deux tours d’une élection présidentielle.

De la valeur catharsystique de débat présidentiel : entre Sarko l’excité et Ségo la maitresse SM, la France n’a qu’à bien se tenir. La saillie pourrait bien ne pas être que verbale…

lundi 25 décembre 2006

MeShell Ndegeocello - Dance of the Infidel


Articulez lentement : N-day-gay-o-cello. Ca y est. Vous l'avez dit. Et vous feriez mieux de vous entrainer car vous risquez d'avoir à refaire l'exercice relativement souvent, car son talent est à la mesure du nombre de syllabes de son patronyme…


(ça y est, vous y arrivez, félicitations) née à Berlin, père militaire, grandit à Washington. A l'époque elle s'appelle Mary Johnson et elle joue dans les clubs de Washington DC. L'histoire s'accélere dans les années 90 quand elle devient bassiste pour Steve Coleman sur Drop Kick en 1992 et l'album de Get Set Vop en 1993.Cette même année elle est l'une des premières femmes à signer sur le nouveau label de Madonna, Maverick Records. Cette news est bien plus ébouriffante quand on sait qu'elle était en même temps convoitée par Prince pour Paisley Park…(oui, c'est vrai, ma chevelure crépue en est toute ébouriffée - ;)



Ndegeocello signifie en swahili « libre tel l'oiseau ». Tel semble être son credo. Elle s'en amuse gentiment en se décrivant elle même « blackwomanbisexualbassplayersentientbeingGramscianintellectualandrevolutionarysoulsinger » : noire – femme – bisexuelle – bass player – sensible – vainqueur de trois Grammy awards - intellectuelle – révolutionnaire – soul singer. Il faut désormais y ajouter 'musulmane', caractère sans doute le moins anecdotique dans l'amérique post 11 septembre paranoïaque.


Singulière, sa discographie est à son image : exigeante et indépendante. Elle flirte avec les charts tout en revendiquant une liberté totale.


1993 : premier album solo : Plantation Lullabies. Un album à ne surtout pas oublier si vous partez sur une île déserte. Ce premier album lui vaut immédiatement la reconnaissance de ses pairs, notamment pour le fameux "If That's Your Boyfriend (He Wasn't Last Night)".


1996 : Peace Beyond Passion. Un album sombre où il est question de racisme, d'homophobie. Un album réalisé dans et sur la promiscuité. Promiscuité mentale américaine et promiscuité physique puisque Ndegeocello a tout quitté – villa en Californie et voiture de luxe – pour laisser éclore l'inspiration dans un modeste maison de Berkeley, suivi en 1999 de Bitter (honnêtement le moins inspiré). Tout cela nous emmene finalement en 2002 avec le très acclamé « Cookie: The Anthropological Mixtape » dans lequel est aborde le virage poétique avec ces mélodies lancinantes et ce son qui prend son temps pour s'installer dans l'espace. Un constat : celui d' un malaise évident d'être ce qu'elle est dans la société au sein de laquelle elle évolue. « Dead Nigga bld » constitue presque l'hymne de ce questionnement. Un questionnement profond sur le 'blackness'. Qu'est ce réellement qu'être noir(e) dans un univers désormais complexe où s'affrontent les genres, caractères ethniques, choix sexuels, positions sociales. A t'on le droit de voir désormais ce 'blackness' comme le plus petit commun dénominateur d'une identité plurielle, changeante, complexe ?


Un concept. Mais MeShell en est un à elle toute seule.


Avec « Dance of the Infidel », le travail continue. Dans la même veine. On est transporté dans la matrice. On n'écoute pas simplement une bassiste talentueuse. On fait une expérience groove, soul, jazz et au delà… La spiritualité est omniprésente, et pas seulement dans les sourates du Coran imprimées sur la pochette de l'album. Il faut dire que le 11 septembre est passé par là. Elle avoue d'ailleurs volontiers s'être sentie meurtrie dans sa foi musulmane. Cet album semble donc répondre à un besoin d'urgence. Urgence dans la lenteur, dans la recherche de l'absolu dans l'introspection.


La référence immédiate est l'immense Miles Davis. Pas n'importe quel album. « You're under arrest ». 10 minutes pour toucher l'absolu et lacher un phrasé de trompette. L'écoute devient mystique, elle touche au cœur. Si j'osais, je dirais que l'équivalent chez MeSheIl Ndegeocello est le morceau « Al-Falaq 113 ».


Le Spirit Sextet dont elle a choisi de s' entourer est à la hauteur de ses exigences : Don Byron, Oliver Lake, Kenny Garrett, Michael Cain, Brandon Ross, Gregoire Maret – le suisse prend désormais de la hauteur, on le retrouve également sur le Silver Rain de Marcus Miller, Mino Cinelu, Jack DeJohnette, Wallace Roney, Gene Lake, Roy Hargrove.


Les voix de Cassandra Wilson pour la timbbre à la fois chaud et mettalique du sud, plus aérienne de Sabina Scuba (des Brazilian Girls) enfin résolument soul de Lalah Hathaway (fille de l'immense Donny Hathaway) complètent le taleau de la plus belle des manières.. De quoi consoler ceux qui pourraient être déçu que MeShell ne chante pas elle même sur cet album.


Un souffle, un murmure, Bashir Shakur – son autre patronyme - signifie « Papillon ».


Une invitation à la liberté, car ainsi qu'elle aime à le dire «Free your heart so your soul may fly…».

Vieneg

dimanche 25 décembre 2005

ARTHUR H, ADIEU TRISTESSE


Toujours cette ambiance de brume, toujours ces vapeurs perceptibles, toujours cette atmosphère sombre, palpable, égayée quelquefois par des éclairs festifs.

Deux ans après « Négresse Blanche », Arthur H, le fils d'un autre mec qui porte le même patronyme, adresse à ses aficionados une nouvelle invitation au voyage. Oui, car Arthur H ne fait pas de disques, il faut le savoir.

Chacun de ses albums se conçoit plutôt comme une convocation de rêve, un embarquement pour une heure 30 de fantaisie baroque, de voyage en pays sensuel. D'ailleurs en parlant de voyage, cette fois nous embarquons vers la plus française des terres américaines, le Canada. L'album a en effet été enregistré à Montréal par Jean Massicote, en compagnie des désormais habituels Nicolas Repac et Brad Scott, fidèles de la première heure. Les rejoignent Feist, M. et pour la première fois le paternel Jacques H. Et c'est dans cette humeur vagabonde qu'Arthur H continue l'exploration sonore un peu jazzy, un peu bluesy, à laquelle ses aficionados ont été tellement sensibles dès le premier album éponyme sorti en 1990.

Pour Arthur H, la liberté est le bien le plus précieux. Ses icônes ont pour nom pêle mêle Thélonious Monk, Boris Vian, les Sex Pistols et bien entendu l'immense Tom Waits dont il n'a jamais nié l'inspiration. « L'amoureux » croise « La lady of Shangai » à qui il rêve de faire des « Confessions nocturnes » en frissonant au « Baiser de la lune ».

Fin de la projection, on rallume les lumières, les yeux piquent un peu mais on est heureux.

Vieneg

George Clinton - How Late Do U Have 2BB4UR Absent?


Voici venu le temps des rythmes et du funk…

"How Late Do U Have 2BB4UR Absent?" Un titre qui a lui seul constitue une marque de fabrique. Pour oser un titre aussi abscons il faut au moins s'appeler Prince ou George Clinton. Il est vrai qu'en matière de titres qui tuent, le bonhomme n'en est pas à ses premiers coups : "Give Up The Funk (Tear The Roof Off The Sucker)", "Do Fries Go With That Shake?", "Some of My Best Jokes Are Friends" ou plus plus récemment "T.A.P.O.A.F.O.M. (The Awesome Power Of A Fully Operational Mothership) » constituent quelques autres démonstrations éloquentes du fait que pour Clinton, il n'y a pas que la musique qui se doive d'être funky…

50 ans de carrière, 9 albums sous son propre nom, la paternité d'un genre musical inégalé à ce jour et la fierté (mais aussi le manque à gagner financier) que constitue le fait d'être, avec James Brown peut-être, le musicien le plus samplé de tous les temps. Un CV à faire pâlir, mais aussi à provoquer craintes et interrogations sur l'opportunité de remettre son métier sur l'ouvrage en 2005, soit 10 ans après le dernier album.

Un album surprenant, presque décevant à la première écoute tant on est décontenancé par ce que l'on entend. Les basses bien grasses peinent à venir, la batterie de feu n'est pas forcément au rendez-vous, les solos un peu fadasses… Puis la lumière paraît : « How Long… » ne se veut pas une simple collection de faces B d'albums précédent simplement destinée à satisfaire les afficionados en leur donnant ce qu'ils veulent entendre. Oncle George a toujours le feu sacré et souhaite le faire savoir. C'est ainsi qu'en 2h30 environ, l'auditeur initialement désarçonné est embarqué dans un trip qui va le mener du doo wop des débuts au hip hop d'aujourd'hui. Les anciens sont réembauchés - Bernie Worrell and Cordell "Boogie" Mosson des Parliament - sont à la manœuvre sur quelques morceaux. Quelques nouveaux sont cependant un peu à la peine. Ainsi, parmi tous les guests, c'est sans doute Joi (Lucy Pearl) qui convainc le moins sur "I'll Be Sittin' Here" and "Trust in Yourself". Expérimentations hasardeuses…

Pour le reste, le plaisir y est, la qualité aussi : Prince est excellent sur "Paradigm", quant à "Viagra" (des Funkadelic) c'est un festival de guitares furieuses. On se calme avec une jolie ballade presque sirupeuse que constitue la reprise du tube d'Otis Redding, « More than words can say », thème old school mis en valeur par le talent vocal de Belita Woods, en version live s'il vous plait. Mais la perle de cet album demeure cependant « Goodnight Sweetheart, Goodnight », ou comment poser des effets électroniques sur une base doo wop méchamment old style. Sans doute le meilleur condensé que l'on puisse imaginer entre les orchestrations complexes des Parliament, les intonations rythmiques des Funkadelic, le tout enrobé d'effets électroniques envoûtants. La boucle est bouclée…


Viéneg


The Herbaliser – Take London


Moi, j'aime les mecs qui ont peur de rien. Les mecs qui ne craignent pas de trop en promettre dans les titres de leurs œuvres. The Herbaliser est clairement de ceux-là. Après « Blow Your Headphones", "Very Mercenary", "Something wicked this way comes", c'est maintenant au tour de « Take London » de porter fièrement les ambitions du duo londonien.

Ce qui n'a pas changé : le talent inimitable dans le fatal remix d'influences très diverses : electro, downtempo, dub, jazz, funk, soul. C'est étourdissant de talent, c'est à se demander comment tout cela tient sur une si petite galette.

Mais ce n'est pas simplement en remettant le couvert dans les mêmes assiettes que Ollie Teeba et Jake Wherry cultivent l'ambition de 'prendre Londres'. Cela fait en effet 10 ans que l'on n'ignore plus que la spécialité de The Herbaliser, ce sont précisemment les mélanges improbables, les influences quelquefois antagonistes toutes mises au service du flow et du style. So british.

On ne peut 'prendre Londres' autrement que par surprise. Ceci une vraie gageure quand on est affilié à Ninja Tunes, sans doute le plus prestigieux label musical UK. Il n'est en effet pas simple de se démarquer d'autres talents bruts comme Amon Tobin, Vadim, Cinematic Orchestra (sans doute leur cousin germain dans les influences), voire même des tolliers de la maison, les incontournables Coldcut.

Equation résolue. Incontestablement.

16 perles. Quelques featurings de grande classe qui savent ne pas se mettre en avant tant l'album se suffit à lui même : Roots Manuva, Jean Grae (ne l'appelez plus What What) et Katerine, pour un hommage à Gainbourg de très bonne facture.

Le décor est posé façon breakbeat furieux mis en valeur par des scratch loops inattendus, réhaussés d'une section rythmique enregistré live. On est ainsi tenus en haleine jusqu'au premier arrêt : Gadget Funk. Un morceau venu d'ailleurs. Une bonne basse bien grasse à la George Clinton. Du gros synthé pur beurre. C'est nouveau, c'est de l'électro P-Funk, Chuck Brown remixé par une bande de dangereux illuminés coupables de vouloir faire tomber London sous les coups du butoir de vibes importées de Washington DC.

Encore sous le coup de l'émotion, on quitte le P-Funk pour le downtempo. "Close your Eyes" calmera les plus énervés avec son slam langoureux. Prélude au deuxième arrêt, cette fois pour un beat très cool à la Lalo Shiffrin 'sonofanuthamutha'. Des cordes très étirées, des voix sucrées. Luxe, calme et volupté.

Pour finir, le coup de grâce est porté avec un ultime morceau qui constitue une divine surprise. La perfide Albion invite celui que parmi tous les french singers elle nous envie sans doute le plus, l'immense Serge Gainsbourg, pour un épilogue des plus classieux (« C'était en fin de matinée, Dans le quartier latin, J'avais tres froid aux mains… ») en forme d'hommage à l'homme à la Gitane.

London succombe, London abdique, London applaudit, bref, London se laisse prendre…

Vieneg


MARCUS MILLER – SILVER RAIN


Pour l'histoire : Marcus Miller (M² comme il aime à le dire) est né à Brooklyn en 1959. Il passe une partie de son enfance en Jamaïque, puis retourne vivre dans le Queens, où sa famille s'est établie quand il avait 10 ans.

Le jeune Marcus vit à l'ombre de son père À 10 ans, il apprend la clarinette. À 13 ans, il maîtrise l'orgue et le saxophone, mais c'est pour la guitare basse qu'il optera finalement. À 14 ans, parfait autodidacte, Miller joue aussi bien du piano, de la clarinette, que de la guitare basse. Voilà voilà…

Comme si cela ne suffisait pas pour remercier tous les jours le ciel pour le talent inné qui est le sien, il faut en plus que son cousin, un certain Wynton Kelly, incorpore le band de l'immense Miles D. obscur trompettiste à la carrière prometteuse…Il collabore notamment à des albums aujourd'hui référence que sont « Kind of Blue » ou « Things Are Getting Better » du non moins excellent Cannonball Adderley.

En attendant de connaître son fabuleux destin, Marcus Miller passe son temps à écumer les studios et multiplier les collaborations, que ce soit avec David Sanborn, Roberta Flack, Bob James ou Aretha Franklin.


Côtoyer les plus grands ne lui suffit pas. C'est tutoyer les étoiles qui le fait rêver. Ce qui devait arriver arriva un jour de 1981, quand son cousin souffle son nom à l'immense Miles, qui l'embarquera dans son nouveau groupe comme bassiste pendant 18 mois. Le jeune homme a la renommée grandissante n'a alors que 22 ans mais est prêt à monter sur le trône des gloires vivantes de la musique. Miles l'intronisera lui même en 1986 en lui confiant la composition intégrale de son album testament, Tutu, en 1986.

Pour finir en beauté avec les chiffres et les stats, ajoutons qu'à ce jour Marcus Miller a collaboré avec 195 artistes sur 365 albums. Ses références ressemblent à s'y méprendre au Who's Who de l'industrie musicale US.

Il apparait pour le moins difficile après une telle énumération de présenter « Silver Rain » autrement que comme l'album de plus d'un géant de la musique. Et pourtant. Miller démontre une fois de plus s'il en était besoin qu'il possède la qualité essentielle des très grands, celle qui consiste à savoir surprendre un auditoire pourtant déjà habitué à votre excellence.

D'abord le titre : « Silver Rain » tire son nom d'un fameux poème de Langston Hughes, théoricien du début du XXè siècle et animateur du mouvement culturel Harlem Renaissance. Excellent pour la culture générale, mais là n'est pas la prétention de M2.

Rentrons dans le vif su sujet : des collaborations prestigieuses mais surtout bien choisies : Gerald Albright, Kirk Whalum, Kenny Garrett, Lucky Peterson, Dean Brown…Des voix de Joey Kibble (Take 6), Macy Gray, Lalah Hathaway…Le tout s'étalant sur 10 reprises et 5 morceaux originaux.

A l'écoute, le ramage se rapporte au plumage. Furieusement groovy, c'est le moins que l'on pouvait attendre d'un bass hero de sa trempe. Mais quand on s'appelle M2, le groove tient du service minimum. Pour faire un grand album, il faut y ajouter de l'éclectisme. Le compte y est avec Lalah Hathaway sur « La Villette » ou Eric Clapton en version reggae sur « Silver Rain », titre phare de l'album (malheureusement remplacé pour d'obscures raisons marketing par Joey Kibble pour la version européenne de l'album). Des sax de premier plan tel Kenny Garrett, Kirk Wallum ou Gerald Alright – sur "Bruce Lee" - viennent compléter le tableau.

Mais l'éclectisme ne saurait suffire. Il faut lui adjoindre l'audace. Elle est nécessaire pour oser toucher à des monuments de la musique moderne – "Sophisticated Lady" du grand Duke – mais aussi pour avoir l'idée d'instiller un peu de groove dans la "Moonlight Sonata" de Beethoven. Le tout avec toujours le même détachement, la même déconcertante (énervante?) facilité.

Pour finir, on se saurait passer à côté de deux reprises lumineuses qui contribuent à réhausser la valeur des originaux – "Girls and Boys" de Prince avec la voix métallique de Macy Gray et "Boogie On Reggae Woman" de Stevie Wonder.

Il est compliqué de parler d'une légende vivante sans tomber dans la redite ni l'angélisme excessifs. Silver Rain est un grand album de la part d'un monstre sacré du genre. Rien a ajouter de plus.

Vieneg