jeudi 27 septembre 2007

Antoine Volodine - Songes de Mevlido


No future surréaliste

Une guerre a eu lieu, sans doute l'assaut final qui laisse l'humanité désespérée. Cette guerre, qualifiée de « guerre de tous contre tous » a vu l'affrontement des camps capitaliste et bolchevique. Une dictature idéologique sans merci s'installe. Elle est tentaculaire, monstrueuse en ce qu'elle ne s'embarrasse même pas des oripeaux que revêt habituellement tout régime totalitaire. Elle ne prétend même pas faire le bonheur des gens.

Mevlido est le personnage principal de ce conte dystopique qui a pour théâtre un XXIIe siècle à l'agonie. La ville d'Oulang-Oulane où il vit est l'antre de l'horreur à laquelle la guerre a laissé place. Deux camps s'affrontent dans une lutte mortifère. Mevlido appartient quant à lui au camp des vaincus, soumis au bon vouloir des tout puissants « Organes ». Ceux-ci se servent de lui comme d'une sorte d'antidote à la barbarie, expédié vers le futur à la recherche d'un remède pour l'humanité en voie d'extinction. Chaque passage est matérialisé par une trappe, d'où notre héros glisse imperceptiblement dans un système monde sans repère.

On se laisse facilement emporter dans cette translation sans fin, tant l'écriture de Volodine est envoutante. Elle est également physique, avec un talent consommé pour faire ressentir à son lecteur l'ambiance étouffante, la poussière presque palpable tout au long du roman mais aussi la lutte éperdue pour survivre, même quand la vie n'a plus de sens. Les références s'inversent, le tramway, dans lequel on est embarqué dès les premières pages du roman, ultime cordon ombilical reliant encore Poulailler Quatre à ce qui demeure de la civilisation, peut également à tout moment devenir un instrument de mort. On assiste ainsi, avec le regard d'un sniper tapi au coin de la rue, à la décapitation atrocement narrée de la « femme en vert », dont la tête est broyée de façon ignoble par les roues de fer de la machine.

Les nuits ne s'achèvent que pour laisser place à une pénombre grisâtre, faite de suie industrielle et de volatiles aux ailes grinçantes.

Même au cœur de l'horreur, Mevlido, personnage principal auquel on finit par s'identifier, lutte de plus pour ne pas se laisser submerger par le souvenir trop présent de sa compagne, assassinée par des enfants soldats.

Ce cataclysme imprègne tout, y compris la dialectique qu'utilise Volodine pour nous la faire mieux ressentir. Ainsi, les phrases commencées ne sont quelquefois jamais achevées (« on ne sait jamais ce que. ») comme happées par quelque chose de plus grand encore que le discours.

La vie n'existe plus, pas plus que la mort. Le monde d'alors est otage du présent fait de chamanes, d' imprécation, de magie et de rumeurs d'attentat contre la lune…

Sept parties et quarante-neuf chapitres plus tard, on se sait toujours par ce qu'il faut en penser. C'est peut être précisément ce qui fait la puissance de Volodine : cette capacité à emmener son lecteur dans les méandres les plus intimes de l'être et du devenir. Une espèce de no future fantasmagorique à la limite de la rupture dans lequel on pénètre comme aspiré par un tunnel et dont on ne ressort pas tout à fait indemne.

Viéneg

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