jeudi 27 septembre 2007

LYONEL TROUILLOT - L’amour avant que j’oublie


Actes Sud


C'est un objet littéraire pour le moins inattendu que nous livre cette fois Lyonel Trouillot dans son dernier roman. Un objet littéraire qui nous renvoie à la raison d'être de la littérature elle-même. Pourquoi écrire ? Pourquoi raconter des histoires ? Pour Lyonel Trouillot, la réponse est claire : on écrit pour rester en vie, on prend la plume pour rassembler et sauvegarder des miettes d'existence. On écrit aussi parce que, malgré tout, certaines choses ne se disent pas. Je t'aime ne se dit pas. L'homme de lettres qu'il est, le penseur reconnu se trouve en l'espèce incapable de parler d'amour.


Il appelle donc à son secours l'imaginaire, comme un ménestrel convoque la fiction pour conter fleurette sous le balcon de sa belle.


Trois personnages constitutifs du puzzle de sa vie. Trois âmes singulières aux destins tantôt tragiques, tantôt comiques, jamais pathétiques. Peu importe la vérité dans la fiction du réel, de toute façon la vie est un roman.


L'Étranger, le premier d'entre eux. Un Jules Vernes caribéen. Il a fait le tour du monde sans quitter son île. Il traverse le roman une valise à la main, toujours dans l'attente imminente d'un visa, car « il part toujours le mois prochain ». Qui prétendrait qu'il soit un imposteur n'aurait tout simplement rien saisi à sa philosophie. Bouger pour ne pas mourir. S'activer pour tromper le malheur tapi dans un recoin de l'existence, toujours prêt à cueillir celui qui se croit à tort invincible. « Seul le malheur survit. C'est pour cela qu'il ne faut jamais rester immobile. Tous les jours, le malheur revient vérifier à quelle vitesse tu peux bouger et il finit par t'attraper si tu restes à la même place ». Voilà pourquoi la vraie vie de Ricardo Mazarin est un « fait banal, sans importance ». La vérité vraie ne saurait être celle à laquelle nous contraint le quotidien. C'est une vraie leçon de révolte contre tous les déterminismes qui nous est ici administrée par ce conteur en transit. La vraie vie est dans les yeux de celui qui regarde. Attention donc à ne pas trop attendre pour 'apprendre à regarder'.


Ensuite, l'Historien. L'histoire d'une passion contrariée avec Marguerite, une vendeuse de rue. Une authenticité contrastant avec l'hypocrisie, le mensonge et la trahison connue avec l'Autre, une indicible erreur de l'existence, un innommable accident de la vie, une « erreur d'amour » qui finira par avoir raison de lui, car « l'amour ça peut être une belle chose, mais c'est une saloperie aussi ».


Enfin, Raoul. Le visiteur de cimetière. L'homme éternellement blessé en raison d'un drame qu'il n'a pu éviter et qui appelle à son secours toutes les puissances de la transcendance.


Autant de tranches de vie et d'expérience dont s'abreuve notre héros pour approcher sa belle. Il ne peut être que cela. Il ne parvient qu'à avancer masqué, incapable de se découvrir car alors il lui faudrait parler d'amour. Il lui faudrait se révéler. Il préfère, tel le bernard l'hermitte bien connu des antillais, emprunter des yeux, des oreilles, piocher ça et là dans des vies singulières. Il est l'écrivain public de leurs voyages intérieurs. Un passeur de paroles qui ne sont pas les siennes mais qui lui appartiennent néanmoins car la parole appartient à celui qui la reçoit.


Poésie, tragédie, mais aussi chroniques d'un bonheur authentique sont autant de facettes de cette lettre d'amour adressée à une l'anonyme auditrice d'un colloque littéraire. Une puissance singulière se dégage de cette intention toute simple. Une pudeur touchante dans l'expression de sentiments profonds. On ne peut qu'être touché par cette quête d'absolu à laquelle nous convie Lyonel Trouillot, « dans l'étrangeté des chemins qui conduisent à l'amour ».


Viéneg

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