lundi 25 décembre 2006

MeShell Ndegeocello - Dance of the Infidel


Articulez lentement : N-day-gay-o-cello. Ca y est. Vous l'avez dit. Et vous feriez mieux de vous entrainer car vous risquez d'avoir à refaire l'exercice relativement souvent, car son talent est à la mesure du nombre de syllabes de son patronyme…


(ça y est, vous y arrivez, félicitations) née à Berlin, père militaire, grandit à Washington. A l'époque elle s'appelle Mary Johnson et elle joue dans les clubs de Washington DC. L'histoire s'accélere dans les années 90 quand elle devient bassiste pour Steve Coleman sur Drop Kick en 1992 et l'album de Get Set Vop en 1993.Cette même année elle est l'une des premières femmes à signer sur le nouveau label de Madonna, Maverick Records. Cette news est bien plus ébouriffante quand on sait qu'elle était en même temps convoitée par Prince pour Paisley Park…(oui, c'est vrai, ma chevelure crépue en est toute ébouriffée - ;)



Ndegeocello signifie en swahili « libre tel l'oiseau ». Tel semble être son credo. Elle s'en amuse gentiment en se décrivant elle même « blackwomanbisexualbassplayersentientbeingGramscianintellectualandrevolutionarysoulsinger » : noire – femme – bisexuelle – bass player – sensible – vainqueur de trois Grammy awards - intellectuelle – révolutionnaire – soul singer. Il faut désormais y ajouter 'musulmane', caractère sans doute le moins anecdotique dans l'amérique post 11 septembre paranoïaque.


Singulière, sa discographie est à son image : exigeante et indépendante. Elle flirte avec les charts tout en revendiquant une liberté totale.


1993 : premier album solo : Plantation Lullabies. Un album à ne surtout pas oublier si vous partez sur une île déserte. Ce premier album lui vaut immédiatement la reconnaissance de ses pairs, notamment pour le fameux "If That's Your Boyfriend (He Wasn't Last Night)".


1996 : Peace Beyond Passion. Un album sombre où il est question de racisme, d'homophobie. Un album réalisé dans et sur la promiscuité. Promiscuité mentale américaine et promiscuité physique puisque Ndegeocello a tout quitté – villa en Californie et voiture de luxe – pour laisser éclore l'inspiration dans un modeste maison de Berkeley, suivi en 1999 de Bitter (honnêtement le moins inspiré). Tout cela nous emmene finalement en 2002 avec le très acclamé « Cookie: The Anthropological Mixtape » dans lequel est aborde le virage poétique avec ces mélodies lancinantes et ce son qui prend son temps pour s'installer dans l'espace. Un constat : celui d' un malaise évident d'être ce qu'elle est dans la société au sein de laquelle elle évolue. « Dead Nigga bld » constitue presque l'hymne de ce questionnement. Un questionnement profond sur le 'blackness'. Qu'est ce réellement qu'être noir(e) dans un univers désormais complexe où s'affrontent les genres, caractères ethniques, choix sexuels, positions sociales. A t'on le droit de voir désormais ce 'blackness' comme le plus petit commun dénominateur d'une identité plurielle, changeante, complexe ?


Un concept. Mais MeShell en est un à elle toute seule.


Avec « Dance of the Infidel », le travail continue. Dans la même veine. On est transporté dans la matrice. On n'écoute pas simplement une bassiste talentueuse. On fait une expérience groove, soul, jazz et au delà… La spiritualité est omniprésente, et pas seulement dans les sourates du Coran imprimées sur la pochette de l'album. Il faut dire que le 11 septembre est passé par là. Elle avoue d'ailleurs volontiers s'être sentie meurtrie dans sa foi musulmane. Cet album semble donc répondre à un besoin d'urgence. Urgence dans la lenteur, dans la recherche de l'absolu dans l'introspection.


La référence immédiate est l'immense Miles Davis. Pas n'importe quel album. « You're under arrest ». 10 minutes pour toucher l'absolu et lacher un phrasé de trompette. L'écoute devient mystique, elle touche au cœur. Si j'osais, je dirais que l'équivalent chez MeSheIl Ndegeocello est le morceau « Al-Falaq 113 ».


Le Spirit Sextet dont elle a choisi de s' entourer est à la hauteur de ses exigences : Don Byron, Oliver Lake, Kenny Garrett, Michael Cain, Brandon Ross, Gregoire Maret – le suisse prend désormais de la hauteur, on le retrouve également sur le Silver Rain de Marcus Miller, Mino Cinelu, Jack DeJohnette, Wallace Roney, Gene Lake, Roy Hargrove.


Les voix de Cassandra Wilson pour la timbbre à la fois chaud et mettalique du sud, plus aérienne de Sabina Scuba (des Brazilian Girls) enfin résolument soul de Lalah Hathaway (fille de l'immense Donny Hathaway) complètent le taleau de la plus belle des manières.. De quoi consoler ceux qui pourraient être déçu que MeShell ne chante pas elle même sur cet album.


Un souffle, un murmure, Bashir Shakur – son autre patronyme - signifie « Papillon ».


Une invitation à la liberté, car ainsi qu'elle aime à le dire «Free your heart so your soul may fly…».

Vieneg

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