dimanche 25 décembre 2005

ANNIE ERNAUX, MARC MARIE : L'USAGE DE LA PHOTO


« L'érotisme est l'approbation de la vie jusque dans la mort »


La mort, omniprésente ; l'amour, en dépit de tout ; l'espoir, jusqu'au bout.

Un homme, une femme, une rencontre. Dès le départ, à côté de la mort, omniprésente, l'amour irrésistible et l'espoir, palpable

Marc Marie et Annie Ernaux signent avec ce récit écrit à quatre mains une formidable histoire de résistance d'autant plus improbable que cette lutte se fait contre un ennemi invisible : le cancer. En l'occurrence le cancer du sein de A.

ette tumeur est tellement présente qu'elle est quasiment personnifiée dans le livre, elle en devient un personnage à part entière. Ce personnage n'en est que plus terrifiant, mais contre lui la résistance que vont organiser envers et contre tout les deux uniques personnages n'en sera que plus belle. On croirait presque lui donner voix quand Annie se remémore cette phrase de Dante en passant pour la première fois le seuil de Curie : « Vous qui entrez ici, perdez toute espérance ».

Alors A et M. prendront contre le cancer le maquis des sens. Faire l'amour à mort pour mieux le contrer. Entre le 6 mars 2003 et le 7 janvier 2004, ils prendront systématiquement des clichés des pièces et des vêtements laissés là juste avant l'amour, au cours de déshabillages fiévreux, mais photographiés le lendemain. Ils commentent les clichés tour à tour, avec cette impudeur quelquefois si nécessaire à la vérité. Dans ce puzzle textile, des constantes : ainsi les bottes d'un Marc qui essaie sans cesse quant à lui, d'adopter une « posture de mâle dominant, protecteur, éminemment masculin, sont les seules à avoir survécu à ces tentatives de se faire passer pour ce qu'il n'est pas. Ces bottes sont incontournables tout au long du roman, à la fois symbole de l'érotisme fébrile qui anime ces deux êtres et qui est synonyme de vie, et contrainte dangereuse représentant le fragilité de ce désir.

Marc s'en tire souvent par l'humour – manifestation bien souvent involontaire de la perte par l'homme du contrôle qui lui est traditionnellement dévolu de l'espace privé et intime du couple ainsi que de l'impuissance qu'il éprouve face à une situation qui lui échappe singulièrement au profit d'étrangers – le cancer, la mort, le corps médical – avec qui il doit nécessairement composer, voire entrer en lutte pour garder (trouver ?) sa place. « Durant plusieurs mois nous ferons ménage à trois, la mort, A.,et moi. Notre compagne était envahissante. Elle s'arrogeait en permanence le droit d'être là, dans la poche de liquide collée au ventre de A. durant les périodes de chimio, sur son mamelon cramé par la radiothérapie.

Annie est, quant à elle, dans la crudité des mots, dans la précision chirurgicale des actes et des gestes. Les moments d'amour physique dont les reliefs textiles sont la démonstration sont pour elle uniques à plus d'un titre, car ils font figure d'oasis dans un univers hostile. On ne peut s'empêcher d'ailleurs d'opposer systématiquement les deux univers : la profusion de couleurs des vêtements, la chaleur et le rythme des descriptions du préambule de ces instants privilégiés contrastent violemment avec l'aridité presque palpable, physique, de la peau désormais réduite à une enveloppe charnelle mutilée, presque torturée, desséchée par la chimiothérapie. « l'apres midi je devais me rendre à l'institut Curie, la chirurgienne qui m'avait opérée quinze jours plus tot devait allait m'annoncer si l'ablation de la tumeur suffisait ou s'il fallait m'enlever tout le sein »

Est-ce indécent ? Sans doute. C'est en tout cas dérangeant. Mais cette histoire est en même temps simple. Simple comme la vie, simple et inexplicable comme l'amour.

Simple, inexplicable et désespéré comme l'amour entre deux êtres qui jouent l'éternité contre l'adversité.


JeanLuc GUSTAVE

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